Charles Manson vient de mourir.
Et à cette occasion, certains médias reviennent sur son parcours, en brossent un rapide portrait aux éléments récurrents parmi lesquels : Sharon Tate – Polanski – le Flower Power et la fin de l’innocence américaine, les Beatles et Helter Skelter. La description de cette figure du mal par les journalistes s’accompagne toujours d’approximations, de généralités, d’idées taillées à l’emporte-pièce. Ce n’est pas un jugement, c’est un fait : écrire un article par jour ne permet pas toujours de faire le tour exhaustif d’une question. Pourtant avec les années passées, certaines affirmations pourraient commencer à être retordues à l’aune des faits.
Il se dit et se répète que Charles Manson aimait les Beatles, (cela peut-il figurer un éclairage sur ses motivations meurtrières?) les mêlant à son parcours sanglant. On peut assurer qu’ils n’en demandaient pas tant. Or Charles Manson se méprenait sur les paroles de leurs chansons, n’y voyant que ce qu’il voulait y voir. Là où les paroles de Helter Skelter décrivent les sensations à la descente d’un toboggan conique de fêtes foraines et jardins d’enfants (double sens inclus), Charles Manson y voyait la mise en forme de la haine raciale entre noirs et blancs ! Pourtant on continue de citer les Beatles comme inspirateurs de sa théorie (folie) meurtrière, plongeant encore une fois les doigts avec régal dans cette tarte à la crème qui consiste à associer rock-and-roll et satanisme. A l’époque certains esprits éclairés faisaient tourner leurs disques à l’envers pour y dénicher des préceptes diaboliques, notamment dans la chanson Number 9 des Beatles, qui était un collage sonore ambitieux, très différent des autres morceaux : étrange, donc coupable. Ce folklore continue tranquillement d’infester les discours, l’incroyable amalgame entre la tuerie de Columbine* et Marylin Manson en étant le paroxysme. Marylin Manson, dont le pseudonyme est composé du prénom de l’actrice hollywoodienne la plus emblématique, et du tueur le plus iconique, fut accusé de faire l’apologie de la violence, haine, etc…, et donc d’avoir inspiré les deux adolescents lycéens dans leur projet de tuerie. Sexe, drogue et rock-and-roll, on connaît la chanson.
« Non seulement je n’avais rien fait, mais ils n’étaient pas non plus fans de moi […] Ils ont découvert plus tard que ce n’était en réalité pas le cas, mais c’était trop tard car la roue avait déjà commencé à tourner ». Le chanteur de métal a expliqué que les deux lycéens trouvaient même sa musique « trop pop ».
« Ces spéculations ont eu un effet boule de neige et ont fait de moi le responsable de tous les maux du monde […] Et même s’ils faisaient partie de mes fans, cela ne leur donne aucune excuse, et ne signifie pas non plus que ma musique est à blâmer».
A propos de Helter Skelter, rappelons qu’il s’agit d’expérimentation musicale, d’un morceau de musique, de la part de musiciens dans l’apogée de leur gloire et surtout de leur inventivité, dont l’ambition est d’offrir au monde les fruits de leurs recherches, dans une émulation ludique avec les autres groupes (en l’occurrence les Who), dans un dialogue constant et régulier avec les fans (avant les réseaux sociaux) : eh les gars écoutez un peu ce qu’on vient de faire ! (ici probablement le premier morceau de hard rock).
La tension discordante du morceau était bien intentionnelle.
Paul McCartney dit qu’il avait été inspiré par la lecture d’une « chronique d’un disque qui disait que le groupe se déchaîne avec les effets d’écho et les hurlements et tout, et je me suis dit : “C’est dommage, j’aurais bien aimé faire un truc pareil.” Puis je l’ai écouté, et ça ne ressemblait à rien d’autre, c’était direct et sophistiqué. Alors on a fait ça. J’aime le bruit. »
‘Helter Skelter’ and Sixties Revisionism, Gerald Carlin et Mark Jones
Bref, Charles Manson. Il se dit qu’il était un musicien raté.
Il se dit que le producteur qu’il rencontra et refusa son disque habitait la maison qui fut louée ensuite à Polanski, et que le meurtre de Sharon Tate (et ses invités) ne fut que le fruit d’un malheureux hasard. Ce devait être une vengeance musicale, ce devint un meurtre satanique du fait de l’aura sulfureuse du réalisateur qui venait de tourner Rosemary’s Baby. Hasards, coïncidences et il n’y a pas de fumée sans feu, ma bonne dame s’occupèrent du reste.
Les idées complexes sont souvent filtrées afin qu’il n’en reste qu’un filet sirupeux facile à exposer, facile à remémorer. Ainsi Charles Manson apparaît comme un déséquilibré influencé par des paroles ou des idées ne lui appartenant pas. On oublie alors ses délires raciaux, ne sachant pas trop à quoi les rattacher, le fait qu’il se prenait pour le christ (on pourrait s’amuser à lister ses délires capillaires) et qu’il était proxénète avant que d’aucuns ne résume le tout sous l’appellation « gourou » de secte ou communauté hippie. Voilà, c’était l’époque du Flower Power et de l’amour libre, l’époque a tort, l’époque se réveille dans un bain de sang, l’époque a mal aux cheveux. Vous mettez un déséquilibré au milieu de n’importe quoi et l’on vous prédit la fin du rêve, quel qu’il soit. C’est le même genre de discours que l’on a entendu par exemple en 2011, après les meurtres d’Anders Breivik, qui étaient censés signifier la fin de l’innocence multiculturaliste de la Norvège. On sait ce qu’il en a été. Rien ou peu de choses. Car aucun de ces meurtriers ne signe la fin d’un monde (à part le leur), l’Histoire suit son court, c’est tout.
Il peut sembler un peu exagéré, voire déplacé, de présager quoi que ce soit dans les actes d’un furieux, qu’il soit fou ou pas. Ces individus s’inscrivent dans l’histoire par la monstruosité de leurs actes, mais il peut sembler présomptueux de les associer à l’Histoire elle-même. Ce sont des figures artificiellement créés, des sortes d’attractions, des anomalies, des remous. Pourtant certains deviennent des icônes, et c’est ce qui est étrange autant qu’inquiétant. Ainsi, on peut voir des T-shirt où le slogan « Je suis Charlie » est surmonté du portrait en noir et blanc de Charles Manson. Cela serait-il possible si son image n’était édulcorée, magnifiée par certains qui confondent faits divers et pop culture. De même l’idée de la fin d’une prétendue innocence qui s’égrène au fil des articles. On peut lire des articles associant Charles Manson à la réflexion engagée par Denis Hopper dans Easy Rider, sur les contradictions et la fin probable du mouvement hippie. Il se dit que le Flower Power est mort en même temps que Sharon Tate. (Mais aussi : le Flower Power est mort à Altamont. Le Flower Power est mort avec mai 68. Le Flower Power est mort avec l’arrivée des punks. Au choix.) Mais qui pour dire que le Flower Power n’a jamais concerné que peu de monde, n’a probablement duré que six mois ? Et que c’est plutôt l’élection de Nixon qui a mis fin à cette période ( période = durée que met une planète pour faire une révolution. )
Que dit de nous cet intérêt renouvelé pour les individus qui sortent du cadre de la société ?
Serait-ce faire preuve de mauvais esprit que de souligner une vague ressemblance avec la figure iconique de Che Guevara dont la photo prise par Alberto Korda ressort justement en 1967 ?
Il y a en effet dans la diffusion de l’image de Charles Manson une volonté non dissimulée de fournir en pâture au public une icône, à haïr certes, mais une icône tout de même, à ériger en symbole (du mal). Et Charles Manson de devenir une icône de contre-culture.
Ainsi pouvons-nous nous repaître d’une histoire tronquée, mais fascinante, puisque tronquée, où les fantasmes d’une époque révolue s’emparent des esprits, où ce barbu n’est plus le pauvre type, raté et proxénète, qu’il était dans la réalité (quoi que suffisamment malin pour ne pas tuer lui-même!), mais un théoricien (de pacotille), un manipulateur (de jeunes filles en rupture de ban) et représente tel un épouvantail, ce que deviendrait la société si on la laissait aller à vau l’eau, avec ses idées libertaires.
Et Charles Manson devint l’icône d’une idée mourante. Bien fait. C’est bien connu, toutes les communautés ont fini par finir.
Fini de rire.
Alors que ni le personnage ni ses actes ne signifient rien, sinon barbarie et bêtise mêlées, son image a été créée dans le but de signifier à tous la fin d’une époque, et le plus « drôle » c’est qu’il a lui-même finit par y croire, s’identifiant à un jalon de contre-culture.
Charles Manson était un artiste raté, ce qui constitue curieusement un fait commun avec nombre d’autres meurtriers.
Sources :
* Voir : le documentaire Bowling for Columbine du réalisateur Michael Moore, disponible en DVD.
Che Guevara, naissance d’une icône à tout faire, par Jean-Pierre Langellier pour lemonde.fr
Charles Manson, vernis rouge sang sur l’Amérique des sixties, pour liberation.fr
Illustration à la Une : Helter Skelter, The Beatles Illustrated Lyrics, Alan Aldridge
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